Visite de la délégation chinoise et vietnamienne à
Pune, du 9 au 15 janvier 2004
Une première approche de l'Inde rurale et urbaine
Rapport à la Fondation Charles-Léopold Mayer, par Guy
Poitevin, le 1/2/2004
Association de développement de communautés rurales (VCDA)
Ce bref compte-rendu ne se veut pas un rapport exhaustif et final qui
viendra plus tard car il devra tenir compte de l'évaluation demandée
de chacun des 16 participants chinois à leur retour en Chine. Il s'agit
ici seulement de premières notes rappelant les objectifs et les
perspectives définies pour cette visite, les principaux points du
programme de visite et les premières réactions des participants
chinois ainsi que des Indiens qui les ont accueillis.
Perspectives
Les visites focalisaient sur les thèmes suivants :
- Agricultures plurielles : perception de la grande diversité des
modes de production agricole dans le district de Pune même. Trois visites
furent organisées : la première dans une région de plaine, à
l'est de Pune, irriguée par canal et puits, et de culture intensive de
rente (canne à sucre, raisin, fruits) ainsi que de produits maraîchers
(légumes, fleurs, etc.), les conditions de production permettant le
recours aux techniques modernes et le lien avec le marché international;
la deuxième visite plus loin à l'est, autour de Baramati, fut
pour une région de plateau, où de bonnes terres dépendent
de l'irrégularité des chutes de pluies et souffrent chroniquement
de sècheresses sérieuses comme ce fut le cas cette année;
la troisième visite fut pour une région de collines, à
l'ouest de Pune, dans une petite vallée de cultures traditionnelles. Ces
trois régions ne diffèrent pas seulement du point de vue de leur état
et formes de développement social et économique mais aussi par
leur contexte socio-culturel et politique.
- Conditions de production : information et vulgarisation; formation et
commercialisation; le marché et l'organisation des producteurs; coopératives
de production; problèmes d'une agriculture viable et compétitive;
techniques et structure des unités de production, les systèmes de
production et de savoir traditionnels en face des processus de globalisation.
- Sociétés à plusieurs vitesses et profondes
discriminations : perception de l'immense éventail des formes de socialité,
depuis la structure traditionelle des rapports de caste au village en état
de profonde transformation à divers titres et les effets de ces
transformations sur l'avenir des communautés de services et de la petite
paysannerie, jusqu'à des formes privées d'organisation capitaliste
et des institutions non gouvernementales de développement agricole et
rural. Importance significative du secteur coopératif et son
fonctionnement : visite à des coopératives laitières et
sucrières. Le rapport du secteur coopératif et des classes
paysannes aisées, et son impact au plan politique.
En conséquence,
perception de l'immense inégalité et du degré d'hétérogénéité
qui caractérise la société en son ensemble. Un aperçu
du degré de discrimination sociale qui rêgne entre les diverses
strates sociales fut donné par la visite de communautés tribales
survivant dans la plus grande précarité.
- Les deux systèmes de gouvernance oeuvrant en parallèle :
d'une part le système d'administration publique et les services de l'état
en zone rurale : interview de fonctionnaires nommés par l'état au
plan du canton; et d'autre part l'ensemble des corps élus à divers
niveaux : du village à l'état fédéral.
- Deux villes (urbaine et rurale) en situation de profondes transformations.
Le rapport entre les besoins d'une population rurale et les institutions de dévelopmement
d'une ville rurale, Baramati : besoins éducatifs, de formation
biotechnique et de developpement des NIT, d'experimentation et de vulgarisation
par des organismes non-gouvernementaux. L'expansion de l'agglomération
urbaine de Pune à partir des quartiers populaires : visites aux zones
d'expansion périphériques par absorption des villages
environnants; problèmes d'urbanisation : interviews des autorités
de Pune : le Commissaire, représentant du Gouvernement, et le Maire, élu
par un Conseil municipal de représentants élus. La structure de
l'administration urbaine.
- Formation de leaders sociaux au plan des villages. Méthodes et
perspectives d'une action visant à une formation citoyenne : l'expérience
des animateurs de Village Community Development Association et leurs efforts de
démocratisation au plan du village.
Programme
Arrivée le samedi 10 janvier 2004
L'après-midi : visite de l'expansion périphérique à
l'ouest, autour de la high-way circulaire (Mumbai-Pune). Les nouveaux
espaces urbains; avec Mr Nachiket Parwardhan, architecte
Dimanche 11 janvier 2004
La matinée : visite d'une ferme moderne (Mr Mahadev Kanchan, à
Uruli Kanchan) et d'une coopérative laitière. Puis visite à
Théur de Yashvanta Cooperative Sugar Factory avec Mr Mahadev Kanchan,
Directeur, Mr Suresh Ghule, Directeur, et Mr Khanderao Kanchan, Président.
Visite du temple à Ganpati et du mémorial aux Peshvé, les
ministres qui ont présidé au 18e siècle à la
grandeur de la puissance marathe.
L'après-midi : visite à des moments anciens de Pune : aperçu
sur l'histoire et la vie quotidienne.
Lundi, 12 janvier 2004
La journée entière à Baramati et ses environs :
Visite d'un camp de séjour d'animaux atteints par la sêcheresse
at Morgaon avec Dr. R. S. Jadhav & Mr. B. R. Kulkarni. Visite du Contract
farming poultry farm du Dr. Jagtap. Visite de la ferme du Trust Krishi Vigyan
Kendra : sériculture avec Mr. Gore & Dr. Mrs. Kadarbhai. Visit du
campus éducatif de Shardanagar avec Dr. Mrs. Kadarbhai. Déjeûner
à l'hôtel Abhishek organisé par Baramati Taluka Doodh
sangh. Visit de Vidya Pratishthan : Biotechnologie & IT College avec Mr. B.
R. Kulkarni & Mr. P. S. Jadhav. Visite de Dynamics dairies et de Grape
industries. Visite du centre d'horticulture.
Le soir, assistance à la représentation au théâtre
municipal,de Pune de de Ghashiram Kotwal; une pièce de théâtre
créée à Pune en 1972, et qui reste un des chefs-d'oeuvre
progressistes significatif du théâtre marathi et indien du 20e siècle.
Mardi 13 janvier 2004
Le matin : visite à un village à l'ouest de Pune dans une vallée
de la chaîné des Sahyadri (Mulshi taluka). La structure
sociale du village, la condition untouchable, le monde rural et son agriculture.
Présentation par des animateurs et animatrices de Garib Dongari Sanghatna
(Organisation des pauvres de la Mountagne dans le cadre de VCDA) de leur travail
d'animation en zone rurale en vue de former la population à une
citoyenneté responsable et une démocratie active dès le
niveau du village, et l'expansion de leur influence à d'autres groupes
d'action de base sur l'ensemble de l'état du Maharashtra sous forme de réseau.
Les enjeux et les moyens de cette action.
Après le déjeûner dans la ferme d'un animateur, visite
et interview de l'autorité administrative du canton representant du
gouvernement : information sur les systèmes administratifs de gouvernance
en zones rurales.
Au retour, rencontre d'une colonie d'Adivas à Belavade : échange
et interview sur les problèmes des populations tribales.
Mercredi 14 janvier 2004
Le matin, rencontre et interview à la Municipalité de Pune, du
Commissaire de l'état, pouvoir exécutif au plan de la ville et
représentant de l'état, et du Maire, président du Conseil
municipal de Pune. Echange d'information sur les problèmes d'urbanisme
et de développement de la ville (population, santé, habitat,
nergie, populations marginalisées, etc.)
Déjeûner à Maghar Patta City, avec Mr Satish Maghar,
Manager et Directeur, et Mr Nilesh Maghar, Conseiller municipal. Echanges avec
Mr Viththal Tupe, former MP; Président. Visite du township de Maghar
Patta City avec Mr Satish Maghar. Visite au retour du Marché Central aux
légumes.
Jeudi 15 janvier 2004
Départ vers Mumbai pour participer à la réunion de
l'alliance des partenaires asiatiques de la FPH., à St. Pius College,
Goregaon.
Premières évaluations
Les premières réactions exprimées lors d'une réunion
organisée le matin du 14 janvier pour une première évaluation
à Pune même, les témoignages articulés lors de la réunion
du réseau des partenaires asiatiques le 15 janvier à St Pius
College, et les interventions des visiteurs chinois et des animateurs ruraux
Indiens de VCDA lors des deux ateliers tenus pendant la Forum social à
Mumbai, - atelier sur la formation des leaders sociaux tenu le 19 janvier au
matin, et l'atelier sur le dialogue interculturel entre Inde et Chine tenu le 20
janvier au début de l'après-midi - permettent déjà
une première évaluation rapide. L'études des
enregistrements et des témoignages écrits attendus des visiteurs
chinois et vietnamiens permettront par la suite une évaluation plus large
et plus circonstanciée. Voici donc au hasard des témoignages et
des réactions exprimées en réunion et personnellement en
privé, quelques points qui émergent déjà clairement.
- La qualité de l'hospitalité et l'ouverture d'esprit des
Indiens a frappé les visiteurs chinois : liberté de parole, pas
d'effort pour cacher la réalité, possibilité d'accès
à tout et accueil de toutes les questions sans réticence.
- Importance massive des inégalités sociales en Inde et
apparemment peu de volonté de la part des autorités indiennes pour
y remédier. L'Inde a fait une révolution politique mais pas de révolution
sociale. A l'inverse de la Chine.
- Question cruciale : Si une administration très centralisée et
une gouvernance par en haut peut être efficace pour mettre en place des réformes
de façon autoritaire, comment une démocratie à l'indienne
peut-elle s'avérer efficace pour résoudre les problèmes
massifs d'inégalité et de pauvreté?
- La rencontre par les Indiens de citoyens chinois capables de se faire
proches des gens et familiers de tous, a fait tomber tous les clichés
enseignés depuis l'enfance sur la peur l'un de l'autre et l'initimité
entre chinois et indiens. L'esprit de fraternité des chinois condamne
toutes les représentations semés dans l'esprit des indiens depuis
les manuels d'école à leur sujet. Les chinois se sont faits
naturellement proches des indiens de façon spontanée, authentique
et humaine, attitudes et proximité dont des fonctionnaires, des officiels
et des intellectuels indiens ne sont point habituellement capables.
- Les livres scolaires en Inde présentent la Chine comme un ennemi de
l'Inde. La rencontre directe des Chinois dément cette affirmation comme
erronée et perverse : la haine entre les deux peuples est entretenue par
les gouvernements alors que les peuples veulent la paix et l'entente. Si les
gouvernants ont besoin de prêcher la haine et la guerre, c'est pour
maintenir leur emprise sur leur peuple et leur pouvoir. Le chemin de la paix
passe donc essentiellement par des rencontres entre citoyens plus que par chefs
et ministres d'états. A chacun des peuples d'imposer à leurs
gouvernants leur désir de paix.
- Les Chinois furent très impressionnés par la méthodologie
d'action sociale des animateurs de VCDA rencontrés dans un de leurs
villages, en ce qu'elle diffère des modèles d'intervention sociale
et de leadership social pratiqués en Chine, lesquels reposent sur
des schémas allant du haut (gouvernement, administration, élites,
intellectuels, experts, etc.) vers le bas en référence, entre
autres, à une culture confucéenne ou étatique moderne.
- La réponse du leadership politique à Pune et au
Maharashtra a été particulièrement positive et coopérante.
Les leaders politiques locaux et les deux autorités principales
de la Municipalité de Pune (Le Commissaire de Pune et le Maire) ont été
particulièrement efficaces pour nous aider à organiser ce séjour
avec succès. Plus que cela, il y a même de leur part une demande
expresse pour que cette expérience ait des suites sous forme d'échange
entre la Chine et la Municipalité de Pune. On nous a demandé avec
empressement de se faire les médiateurs pour faciliter de tels échanges
à l'avenir.
- Quant à la forme des échanges qui semblent pouvoir se
dessiner si l'on en croit le désir exprimé par les visiteurs
chinois d'une part et leurs hôtes indiens d'autre part, dont VCDA, cinq
domaines d'intérêts communs se sont clairement manifestés et
furent explicitement articulés de part et d'autre :
- Au niveau de la municipalité de Pune, l'attente est celle d'échanges
concernant des problèmes précis d'urbanisme en particulier la
gestion et le traitement des déchets, de l'approvisionnement et de la
distribution de l'eau, et le problème de l'habitat social pour les
couches défavorisées. La forme de ces échanges ne fut pas
discutée mais pourrait consister soit en séminaires tenus par des
spécialistes à Pune ou Beijing, soit en visites réciproques
d'experts sur place.
- La délégation de visiteurs, selon l'attente initiale de la
FPH, devait surtout comprendre des paysans ou des leaders et
responsables de problèmes paysans. Ce ne fut pas absolument le cas. Dans
le cadre de l'Alliance pour un réseau de Paysanneries, nous devrions donc
envisager maintenant un échange réciproque de leaders paysans (des
responsables et des dirigeants concernés par les problèmes
agricoles et ruraux). Deux formes peuvent être envisagées ici :
d'une part, échanges d'information et de documentation sur des problèmes
spécifiques de développement rural et agricole (par exemple, 1)
culture du riz et autres cultures traditionnelles, 2) un échange portant
sur l'identification et le renforcement de systèmes traditionels de
savoir tels celui des sages femmes traditionnelles, des plantes médicinales,
et de pratiques culturales localement appropriées, 3) la pertinence de
formes symboliques populaires de communication et d'échange culturel
(chant et musique); d'autre part, des rencontres au niveau des villages entre
paysans et leurs leaders par le partage pendant quelques jours de la vie
quotidienne des uns et des autres et des échanges constants basés
sur ce partage et ces observations.
- Au niveau du dialogue interculturel entre deux civilisations fort différentes
au plan de leur culture sociale, politique, religieuse (bouddhisme) et
symbolique, approfondissement de ces différences dans une esprit de
meilleure compréhension mutuelle et de questionnement réciproque
des clichés et représentations non critiquées. Les sujets
rapidement soulevés lors de quelques instants d'échange en ces
matières lors de certaines visites à Pune (par exemple, les
questions de condition féminine et des rapports de genre, la famille, les
questions de la nécessaire intervention de l'état en faveur des démunis
au nom de la justice et de l'équité, etc.) suggèrent le
profit considérable de telles confrontations au niveau des citoyens
ordinaires.
- A un niveau plus personnel, compte tenu des domaines recherche privilégiés
de notre Centre de recherche coopérative en sciences sociales. certains
visiteurs chinois ont exprimé le désir d'un échange plus
académique dans le domaine de leur compétence, sous forme de conférence
ou de séminaire. La première suggestion d'un participant relève
du domaine de l'autobiographie.
- Une deuxième suggestion venant d'un autre participant a trait à
la méthodologie en sciences sociales que nous qualifions de coopérative,
telle qu'elle est développée dans le livre "The Voice and the
Will" ou "Peasant Women Speak Up", à savoir, d'une part,
une recherche incluant la parole et les représentations des acteurs
sociaux dans l'élaboration même du discours scientifique; et
d'autre part, un certain rapport d'interaction entre le chercheur et l'action
sociale.